J’ai vu mourir à cause de l’alcool et je crois devoir le raconter, parce que le silence est dangereux et complice. Pour cela je veux vous faire part du déclin auquel j’ai assisté en très peu d’années, à fin que les exemples négatifs soient un avertissement pour ceux qui peuvent se laisser avoir. J’ai été au début un témoin conscient de la situation et je suis devenu ensuite tristement inutile, face à un choix d’autodestruction, à une descente aux enfers qui nous affligeait: pas besoin d’être des médecins pour remarquer la figure aux joues creuses, les mains tremblantes, les yeux fiévreux et le ventre proéminent. C’est le destin qui a vécu un de mes proches, qui s’est retrouvé dans un gouffre qui l’a conduit à la fin. Cela s’est passé en une sorte de catatonie joyeuse, qui, maintenant que les obsèques ont eu lieu, me semble grotesque; les faits étaient parlants, sans pouvoirs être mal interprétés, et les mensonges pitoyables.
Je me suis retrouvé impuissant, face à des histoires, à des renvois, à des souffrances, dans un mélange entre maladie psychique et dépendance physique qui dégradait sans retour l’intelligence et le corps. Un suicide conscient, en quelques sortes, une euthanasie volontaire qui ont aboutit à leur fin dans le cadre d’une normalité apparente et déconcertante. La mort était sur le fond d’un verre d’alcool; c’est là qu’elle se trouve quand on parle, avec pudeur et souvent en respectant la loi du silence, d’un phénomène dangereux et partagé dans notre région, à propos duquel tout le monde aurait en effet des histoires à raconter. On peut réfléchir à la banalité de la détérioration, à la simplicité avec laquelle on peut passer de la normalité à la pathologie, grâce à une substance répandue et amicale. C’est un vrai problème pour notre Vallée et l’alcool, auquel on recourt par tradition et qui est reconnu par la société comme une distraction et un amusement, cache un visage horrible, fait de marginalisation, d’ignorance, de douleur et de solitude. La mort est arrivée malgré les illusions de ceux qui disaient que tout allait bien. L’idée de contrôler et de dominer l’alcool et les conséquences d’une consommation démesurée avaient été effacées par l’acceptation d’une vie à terme, comme si elle était marquée par une date d’échéance. C’est ce qui s’est passé.