"Mala tempora currunt", disaient les romains, dont les courtes sentences ont traversé les siècles par leur efficacité. Cette même simplicité se retrouve dans les lignes architectoniques parfaites de Augusta Praetoria que je trouve très jolies, mais je ne dis pas plus parce que je ne voudrais pas que cette sympathie culturelle pour notre ville - dans cette période où on s’amuse a interpréter négativement mes opinions - devienne une déclaration à lire comme… antisalasse. Mais venons au thème: en effet, en risquant d’être répétitif, il est inutile de nier que le contexte dans lequel on doit situer certains aspects de notre autonomie spéciale n’est pas des plus simples et cela crée des inquiétudes légitimes. Il est bien d’en parler si nous voulons que la politique soit vraiment un patrimoine commun de confrontation et de discussion dans des années qui seront compliquées; également pour éviter que certains thèmes se transforment en exercice solitaire des gens du métier: je cours aussi le risque de devenir un de ces petits vieux ennuyeux du Far West immortalisés dans les films western. Si on parcourt les copies des recueils des "Calepins" (ceux qui en veulent des copies gratuites peuvent m’écrire sur le courriel indiqué dans le menu "scrivimi") ou on lit les articles publiés précédemment dans le "Peuple" on trouve les hauts et les bas, les pour et les contre notre autonomie, dans les dernières vingt années. Je trouve que l’écriture, accompagnée aux comptes-rendus parlementaires (que je publierai un jour), sert à faire respirer l’air des temps et à donner une lecture plus attentive des événements pour éviter l’oubli qui risque d’endormir les esprits. Je connais les accusations: l’Union valdôtaine profite du mécanisme de mobilisation de la citadelle assiégée, ancien et bien fonctionnant, qui produit l’effet de défense dérivant du partage du monde politique en deux catégories, qui sont à la base de toutes les vicissitudes humaines, celles des amis et celle des ennemis. Des systèmes de mobilisation et de consensus électoral qui sembleraient ridicules, un peu comme l’appel d’aide du petit berger qui raconte avoir vu le loup: le cri d’alarme devient inutile quand le loup arrive vraiment, puisque il a été mal utilisé auparavant et il a donc perdu sa crédibilité.
Inutile de nier que, à l’occasion de certains passages, comme cela peut arriver dans les discours tenus pendant la campagne électorale, lorsque on est plus émotif, on a dramatisé. Toutefois, et je réponds pour ma part, je crois avoir toujours dit la vérité et il y a des inquiétudes qui ont disparu justement parce qu’il y a eu du travail et du contraste politique. Le silence n’est pas toujours d’or. L’autonomie spéciale est de moins en moins comprise, même puisque nous nous éloignons de 1945 et de 1948, et elle devient la victime non seulement des envies et des jalousies pour un modèle institutionnel original qui ont toujours existé, mais également l’objet de phénomènes de vulgaire mépris et de banalisation. Il soit clair à ce point qu’une défense intelligente ne prévoit ni d’éviter l’autocritique, ni de refuser a priori les critiques qui nous viennent des autres. Notre autonomie est pleine de défauts, nous ne l’avons pas toujours employée comme il faut, nous ne pouvons pas nier que certains choix auraient pu être meilleurs ou différents, même pour ce qui est de l’investissement des ressources et de la programmation. Il serait ridicule de réagir en se défendant à outrance comme s’il s’agissait de lèse-majesté et il est bien d’améliorer les choses sans se contenter de ce qu’on a ou en pensant être meilleurs et plus rusés des autres. Le dicton «tanti nemici tanto onore» peut serrer les rangs, mais nous pouvons nous libérer d’une partie de nos ennemis si nos raisons sont bien expliquées et décrites sans présomption ou impolitesse. Toutefois l’histoire nous met en garde: mieux vaut être vigilants et réactifs dans une logique de communauté unie que trop complaisants ou anesthésiés, comme cela arriva avec le centralisme de la Maison de Savoie du XVIIIème siècle, les déformations de l’Unité d’Italie ou la prise de pouvoir du fascisme, lorsque le moment vécu et ses conséquences ont été compris par très peu de personnes. Aujourd’hui, tout doucement, avec un bruit de fond et souvent avec des exploits journalistiques adressés au grand public, on voit augmenter les polémiques liées aux raisons de la spécialité. On voit souvent à la télé des hommes et des femmes politiques, mielleux au Parlement et à l’occasion de rencontres officielles, dire enfin ce qu’ils pensent: ces spécialités ont encore un sens pour leur argent et leur instruction? Les plus ignorants utilisent l’Union européenne comme prétexte pour la fin des autonomies spéciales, alors que c’est plutôt le contraire parce que le régionalisme et le fédéralisme politique sont une clé pour le futur et non pas les meubles d’une brocante. Mais le plus grand risque vient d’une stratégie désormais évidente. Le fédéralisme fiscal, qui, comme je l’ai déjà dit, manque de fédéralisme, est présenté par quelques uns comme le moyen pour suffoquer immédiatement l’autonomie des spéciales: ainsi qu’avec un garrot que l’on met au cou pour tuer lentement, en supprimant les ressources économiques, on peut obtenir le résultat, sans toucher aux statuts difficiles à modifier avec la procédure de réforme constitutionnelle et qui sont destinés de cette manière à devenir des cactus dans le désert. Une mort causée par une autonomie vidée de ses contenus, qui resterait sur le papier et que nous devons éviter: voilà pourquoi il est bien de le crier haut et fort.